Ajuster la méthode à l'apprenant, et non l'inverse
Il est difficile de comprendre les enjeux de la langue
française et de son enseignement-apprentissage sans avoir un regard distancié.
Les débats sont si passionnés, passionnants, qu’ils entraînent souvent les
locuteurs à généraliser des représentations fortement marquées par la
subjectivité et les affects; d’autant mieux que les débatteurs n’ont pas
toujours conscience des constructions sociales qui sous-tendent ces
représentations.
ACCUEILLIR ET S’APPUYER SUR LE PLURILINGUISME
On s’étonne encore que les ENA accusent en France un retard de plus de
deux ans par rapport aux résultats des autres pays de l’Union européenne (UE).
Mais, dans les autres pays de l’UE, la représentation de l’écart est davantage
vécue sous le signe de l’acceptation du plurilinguisme. Par exemple, de
nombreuses expériences ont lieu en Catalogne, région déjà diglosse. Les
résultats sont très positifs. La langue des ENA y est beaucoup moins
stigmatisée. En Allemagne, des classes d’allemand langue seconde fonctionnent
avec un enseignant d’allemand et un autre de langue d’origine (italien ou
turc le plus souvent), même quand il s’agit d’une discipline particulière
(mathématiques…). L’accueil de la langue de l’autre, comme appui, favorise les
apprentis-sages. Les locuteurs ont cette capacité de jouer avec les langues,
les variations, et cela leur permet de conserver leur intégrité en tant que
locuteur, sans sentir une part d’eux-mêmes mise à l’écart. Les enquêtes de
Billiez ne disent pas autre chose. Les jeunes en insertion professionnelle,
ayant des difficultés avec la langue scolaire, perçoivent très bien les écarts
à la norme et sont mêmes capables, quand ils ont un statut spécifique
(enquêteurs), de se rapprocher de la norme attendue. L’utilisation des langues
et variations peut donc être proposée en classe selon une observation de la
langue demandée dans les programmes scolaires sous l’appelation ORL
(observation réfléchie de la langue) ou «étude de la langue» (Auger, 2005).
L’utilisation d’outils de mesure fiable permet aussi de mesurer le
véritable écart entre la compétence de l’apprenant et celle qui est visée.
Cette évaluation permet de se focaliser sur le but à atteindre sans négliger
les compétences de départ (y compris en langue maternelle ou dans les
compétences métalinguistiques acquises par la pratique de diverses variations
langagières). Des erreurs encore trop fréquentes sont visibles dans les
évaluations, où la compréhension écrite se mesure souvent en même temps que la
production écrite, ce qui fausse l’estimation du degré de maîtrise de la
langue. Autre erreur trop courante : un apprenant a compris la consigne mais n’a
pas les outils langagiers nécessaires pour formuler sa réponse: on considérera qu’il a également des difficultés de compréhension.
Enfin, par la prise de conscience des représentations
qui ont cours autour du mono- ou du plurilinguisme, de ce qu’est l’objet
langue, du lien que les usages entretiennent avec les représentations et la
notion d’identité, les pratiques de classes et les résultats des apprenants
peuvent évoluer. Il s’agit donc de renforcer les actions d’information et de
formation initiale et continue des différents acteurs de l’enseignement